Toutes les fois que des impressions fortes ont remué mon âme, j’ai senti le besoin de dire ou
d’écrire ce que j’éprouvais, de trouver un écho à ma joie ou à ma peine, en un mot, un retentissement à ce qui m’avait frappé ; le sentiment isolé est incomplet, selon moi.
De là vient que j’ai communiqué à mes amis mes souvenirs de mon Tizi-Ouzou à moi dans le texte ci-dessous, expressions consignées dans ces quelques lignes dénuées de toute espèce de prétention littéraire ; car il n’est jamais entré dans ma pensée de faire un livre sur cette ville, en déroulant les anneaux de la vaste chaîne d’événements qui s’y sont passés, et que ma vue trop courte n’aurait pu embrasser. Je n’ai eu qu’un seul but, celui de procurer une ballade mnémonique à ceux que j’aime, en traçant sur mon calepin quelques esquisses jetées au hasard, sans cadre ni lien, comme on jette sur une palette des couleurs éparses et non broyées, des croquis inachevés et nébuleux. Je me suis contenté de dire les choses comme je les ai vues, comme je les ai senties, au fur et à mesure qu’elles se sont offertes à moi, enfant du pays, prenant seulement, comme l’abeille, un peu de tout, pour former mon rayon.
Et comme de grands changements se sont opérés en Kabylie depuis que je l’avais quittée, et que certaines choses que j’ai signalées pourraient être sujettes à réflexion par celles et ceux qui n’ont pas connu cette époque, je ne cherche pas à démontrer que je suis plus connaisseur de ces endroits que ceux qui y vivent maintenant, ni à communiquer ma nostalgie de ces lieux et ces temps que j’invoque tout le long de ces lignes, à qui que ce soit. Ceux sont mes souvenirs, mon enfance, mes coins de rues préférés. Et, dussent les rigoristes m’appliquer la qualification donnée au roi Midas par le barbier mélomane, je ne changerai rien à ce que j’ai écrit, car ces sortes de retouches sont rarement heureuses, et il y a comme un manque de sincérité dans un tel travail, si on se mettait à revoir son texte pour ne pas heurter la susceptibilité des uns et des autres. Cette considération seule suffirait pour m’en dissuader. Tout ce que je demande, c’est qu’on ne se méprenne pas sur mes intentions, et ne porte pas un jugement trop sévère sur ces lettres, qui, placées dans leur contexte temporel, pourront peut-être gagner en intérêt rétrospectif, ce qu’elles risquent de perdre en actualité.
Dès que l’on arrive d’Alger, ou d’ailleurs, on pénètre dans ce sanctuaire des Saints sur lequel veille majestueusement Sidi Beloua, ce vénéré saint de la ville des genêts. Laissons l’ancien marché (souk e-sebt) à notre droit, et montons allégrement vers le centre de la ville qui nous accueille avec son jet d’eau rafraichissant. C’est l’avenue Abbane Ramdhane , ex Grande rue qui nous ouvre les bras.
Je me souviens encore de ses boutiques et de ceux qui les géraient lorsque j’étais encore un gamin et que je m’y rendais, venant de la Haute Ville où je demeurais. Le grand bazar, le salon de coiffure Djidji, l’immeuble où habitaient les familles : Antoine, Assante, Cecaldi, Cellès, Kuntz…, puis l’horlogerie Derridj, le café Adolphe Costa, le bureau d’Assurances et voyages Juaneda, Hannachi, et au premier étage la famille Fons. Ensuite vient le salon de Coiffure de François Giner, l’hôtel Alimondo, les etablissements Vidal Manégat que dirigeaient monsiuer Selles, le Tabacs journaux de notre ami Keddache, à côté de lui un commerce de pates et de semoule, puis vient le magasin de pièces automobile de la famille Zemboudji, cet ami de mon père. De l’autre côté de la rue, le café bar Venez, le Novelty, puis ce qu’on appelait un café maure. Puis pêle-mêle, la boulangerie Torres où j’allais acheter du pain Mahonnais, « Maounis » comme on disait alors. Je me souviens aussi du magasin de chaussures de monsieur Hkiar, dont le fils, un excellent dentiste est un grand ami pour avoir partagé ensemble bien des joies, surtout au football. Et lorsque je pense aux transports Vaucelle, je revois mes voyages de Tizi-ouzou à Alger, lorsque je partais en vacances chez ma grand-mère Fatma qui habitait Belcourt. Puis l’odeur des frittes fraichement sorties de la poêle et celle des sardines qui vous attirent, émanant de la gargote dont j’ai oublié le nom du propriétaire et dont les descendants excuseront cet oubli. Le café Glacier de Balchère vous ouvre son bar pour vous désaltérer. Et si vous avez des ennuis de dentition, monsieur Goubard, dentiste de son métier vous attend au premier étage de l’immeuble où il exerce. Pas très loin de là se trouve la famille Gonsolin (monsieur le juge), ensuite la boutique de vêtements de Makhazni, le café Maure de Harchaoui où nous allions prendre un presse avec mon ami Djâafar, après le lycée, ou avant de s’y rendre. Au coin, le Grand Hôtel qui appartenait aux demoiselles Richer, dont mademoiselle Anne).
Me faisant face, la pharmacie Musso lovée dans son coin de rue, collée au réparateur de radios Boudid, et à sa gauche un coiffeur. Nous voilà enfin arrivés à la boutique Tabacs et Journaux de Si Ali OueCheikh (Cheikh) dont les livres et les revues ont bercé notre enfance et dont la librairie aujourd’hui, donne l’hospitalité à mes ouvrages. Puis, entrant dans un porche de l’immeuble voisin, on y trouve monsieur Salle le photographe qui était aussi mon professeur de musique au lycée, et dont je retiens seulement cette première leçon « La musique est l’art de combiner les sons d’une manière agréable à l’oreille ». Ensuite, tout défile dans ma tête à une vitesse vertigineuse : le menuiserie Hamiti , la famille Ingardia, l’épicerie Touitou, la boulangerie Abtouche, la charcuterie Briesach, les transports Deschannel, la pharmacie Lamarque, le Cafe bar Clergé, un tailleur, le prêt à porter Attard , la boulangerie Louani, le charcuterie Ribbes, le café Maure Si Amar Iratni, le bazar Daka, la pompe à essence Esso Paya, la mécanique Garcia, Grossembacher, Meyzer (au fond cour), le dentiste Cotard au1°Etage, la famille Hassen Louis dont la fille Michelle était ma camarade de classe depuis l‘école maternelle en 1950. Ensuite vient, l’Hôtel Desposito, et le café Trouba. Vient alors la belle et grande « Place de l'Eglise », l’autre station d’essence Mobil-Essence Shell et le Vulcanisateur et vélos Haddadou qui m’a tant de fois rapiécé mes vélos. C’est alors que je longe l’Immeuble Galli où vivaient : au 1°Etage les familles Matignon (pharmacien), Méguerian (Mr Jacques, tailleur) une autre famille dont je ne souviens plus du nom, mais dont le père de famille était Juge, puis JJ. Galli et Marcel Saunier. Au deuxième étage logeaient les familles Galli et Clermont (Conservateur des Hypothèques). Face à tout cela, on admirait le Square et Monument aux Morts avec ses arbres centenaires qui se dressent encore aujourd’hui majestueux, et qui n’ont rien perdu de leur splendeur. Plus loin, se trouvait l’épicerie Mme Mancellon/Pomarède, le magasin de laine Debiane, le coiffeur Kechriri,les tissus Ousmeur, un bazar+Essence Halata Mohamed, le mécanicien Ouahioune, et au fond de la cour, le famille Beaugrand, les chaussures Lonulo, le famille Ayoun (avocat)(à l’étage), le Commerce alimentaire Khati, les tissus Kichou et laboulangerie Aba. Un peu plus bas, on découvre le Grand Bar Clerget / Ramasco, un coiffeur, la boulangerie Garcia, et l’alimentation Aït Mouloud, ce grand ami de mon père, disparu pendant la guerre de libération, mort sans doute sous la torture, car grand militant de la cause Algérienne. Puis, on retrouve le restaurant "Au Bon Couscous", un tailleur les écuries Ali, un bazar, le magasin de tissus berbères, un magasin de prêt à porter Berbère, le magasin Bouzar, la Pompe à Essence Berryl et de petites gargotes, ensuite l’épicerie Cherrak, le vulcanisation-Pneus Bouhouf et le dépôt Pompes funèbres. Dans le prolongement, l’Alimentation Khelfi, le tailleur Kaïdi et l’Hôtel des Amis Grib. On a ensuite les tissus et Parfumerie Bouaziz, la boulangerie Touileb, les commerces Bouzar, la pharmacie Matignon / Mora, le Café à l'Hirondelle, le café "Retour de Chasse" Rainoldi (1°Etage). Après, on découvre les chaussures Merbah, la boulangerie Makri, le restaurant Makri et le Parc Communal ainsi que les bureaux de l'Urbanisme de la Ville. De la je remonte la RUE DE LA PAIX d’un côté à l’autre, où se tiennent : l’ébénisterie Berbère, Larbaoui un grand artiste dans le genre, Mademoiselle Quilikini / Bedouin, les familles Lagarde, Hassen, Giner, l’entrepôt Graines et Semences, la pharmacie Musso, l’entrée de la Clinique Poinsot, un bazar, la quincaillerie des Hamoutene Si Hassen et ses frères, une boucherie, une banque, dont le directeur était Mr Dugrand , l’armurerie Vié, le salon de Coiffure Said Ben Amar où je me suis tant de fois fait couper mes cheveux, la cordonnerie Charles Galle, les vins C. Gall, le bazar Daffeur, l’électricien Boudib, l’horlogerie Nedir, le cabinet du Dr Saussol, un marchand de légumes , la Plomberie Boulot, un café maure , un marchand de fruits et légumes , la bijouterie Lamblot , la boucherie Ben Chabane, la pharmacie Aïche où mon cousin Hermez Boualem a fait ses premiesr pas de préparateur avant de rejoindre le maquis et mourir e martyr, les vêtements Debien, le bureau de Tabacs et journaux Harchaoui, un autre fruits et légumes , la famille Galli (une partie), les vins et liqueurs Arnaud. On monte allègrement cette RUE DE LA PAIX qui m’est si familière, et on y découvre un salon de Coiffure où exerçait monsieur Souibes surnommé Moh E’swing, le Grand Bazar Keudache, un magasin, le ferblantier Chantreuil, la mercerie Dugrand, la famille Cassagne, la boucherie de Si Hocine, l’épicerie fine de monsieur Ichir, l’horlogerie bijouterie de mon père Allah yarrahmou (S.M. Dris) si chère à mon cœur, la droguerie Bardeau que nous embêtions lorsqu’on étaient enfants, en restant collés à sa vitrine pour regarder les jouets de notre enfance et qui ne plaisiat pas du tout à monsieur Bardeau qui nous courrait derrière en nous insultant. Dan sl’immeuble, habitainet les familles Atene (qui était policier), la famille Gélabert, et au premier étage monsieur Dugrand Marc.
De la rue de la Paix je rejoins la Rue Bugeaud, je longe la salle des Fêtes qui abritait le cinéma Weinich : que de souvenirs de ces spectacles sur l’écran et sur la scène d’abord en tant que cinéphile et en ma qualité d’acteur de théâtre avec mon groupe scout El Hilal de Tizi-ouzou lors des soirées de Ramadhan. Le long de la route plantée d’arbres qui mène vers la haute ville « Trig Esdjour », on retrouve d’un côté la demeure des Achour «(Iâachouren) qui fait face au Collège Moderne qui deviendra à l’indépendance lycée Amirouche, lui-même mitoyen à la mosquée Lala Dmamaya, quelques pas de plus et je me retrouve dans le quartier où je suis né : Aïn Hallouf, après avoir longé mon école primaire l’Ecole Jeanmaire, et gravi le terrain de jeux de notre enfance « Sefsafa ». A l rue « O » , devenue rue Djarane Hamid, et au numéro 3, mon cœur se met à battre à se rompre. La maison où j’ai vu le jour, et qui appartient à d’autres personnes aujourd’hui, n’a pas changé. Elle a gardé la même architecture que lui avait donnée mon regretté père Allah Yarrahmou. Même porte en fer forgé contre laquelle furent soudés une étoile et un croissant de lune, placés là depuis les années 50 pour narguer les colonisateurs, un clin d’œil au drapeau algérien et qui énerva, je m’en rappelle, bien des militaires et policiers français à leur vue. Ainsi, je crois avoir fait le tour de cette ville si chère à mon cœur et à ma mémoire. Dans l’espoir que d’autres compatriotes y rajouteront d’autres souvenirs, les leurs, je leur souhaite bonne lecture.